vendredi, 15 octobre 2021 12:37

« Merci Annick »

« Merci Annick ». Voilà 2 mots qui résument cette journée « retrouvailles », initiée par la marche SoLidAire de Chef Boutonne. Certes, c’est un peu court, trop court pour les curieux, avides du moindre détail. Voilà de quoi vous sustenter.  

Quotidiennement en France, ce sont 3 personnes qui se voient diagnostiquées de SLA. Ce jour de mars 2020, on annonce à Annick qu’elle doit désormais cohabiter avec celle que j’appelle la « veuve noire ». 5 mois plus tard, après avoir retourné internet, elle adhère à Bougez contre la SLA, et contacte Isabelle via la permanence de l’association. Combative et tenace, elle demande à discuter avec un autre malade. Il n’est pas rare qu’Isabelle reçoive cette doléance. En revanche, il l’est nettement plus quand il s’agit d’envisager une rencontre à domicile, avec le risque de se projeter dans un éventuel futur. C’est la volonté d’Annick à laquelle nous avons répondu sans aucun souci.

Isabelle et moi (Florian), nous nous complétons quand il s’agit d’apporter une réponse à un interlocuteur concernant la pathologie, la gastrostomie, la trachéotomie ou la communication. Cette maladie est tellement fourbe et sournoise, qu’elle apparaît sous différentes formes et évolue diversement d’un malade à un autre. D’où l’importance du choix des mots et les précautions à prendre pour les premières rencontres entre malades. Annick est la seconde personne qui demande à me rencontrer ; la première étant Audrey en 2014.

En début de cette année, Annick est donc venue chez mes parents, accompagnée d’une amie (Colette). Comme je le redoutais, le « choc » visuel a eu lieu, l’émotion était trop forte, les vannes lacrymales se sont ouvertes. Ma mère lui a parlé, l’a apaisée, et après une étreinte moyennement covid compatible, nous avons pu échanger un grand sourire. Les échanges ont été riches et réconfortants. C’est avec un dernier regard rassuré et rempli de gratitude, que la visite a pris fin, couvre-feu oblige.

Quelques semaines plus tard, Colette a contacté ma mère, car d’autres amis d’Annick souhaitaient créer un événement afin de faire connaître la pathologie. Une rencontre entre eux et des membres de Bougez contre la SLA, a eu lieu à mon domicile fin mai. Tour de table, pour se connaître les uns les autres. Colette, Margot, Noël et Marc, amis d’Annick et membres (très) actifs de la section « Randonnée et Découverte » du Foyer Culturel Chef Boutonnais. Il s’avère qu’il y a un peu plus de 20 ans, j’ai rencontré Marc. Bien après cette réunion de présentation, il m’a confié conserver un souvenir tout particulier de cet après-midi-là. Souvenir, dont je me garderai bien d’en révéler la substance. Certains y auraient vu la peur de manquer, mais il en était tout autre. À posteriori, j’ai compris l’émotion de Marc en me revoyant. Très vite, l’idée d’une marche a fait l’unanimité. La date a été fixée, les tâches réparties, des rendez-vous cochés au calendrier. À J-10, l’adrénaline d’un message de la préfecture, nous a surmotivée pour vous proposer un évènement digne de ce nom, le samedi 25 septembre.

On y est, c’est le jour J. Les sympathisants du Foyer Culturel Chef Boutonnais et les membres du bureau de Bougez contre la SLA, venus de la région rochelaise, ont rendez-vous à 9h pour les derniers préparatifs. Le ciel est gris, les nuages gorgés d’eau s’essorent sans discontinuer toute la matinée. Il pleuvait très fort pour la première reconnaissance du parcours. Idem pour la seconde avec une intensité moindre. Alors pourquoi faire entorse à l’adage qui veut que « Jamais 2 sans 3 ». Ma mère reçoit un appel de mon ami Charles, pour nous informer qu’il avait eu Zeus, Hélios et Éole, et que tout rentrerait dans l’ordre pour la marche. Ouf, nous voilà rassurés !!!

Il est 14h quand j’arrive à Chef Boutonne. À croire que les divinités grecques ont bien reçu le message, le ciel se dégage petit à petit. Intérieurement, je suis euphorique. Je sais que cet après-midi est celui des retrouvailles. La covid est passée par là. Je n’ai pas vu physiquement les membres du bureau de l’association depuis l’assemblée générale de janvier 2020. J’avais lancé un appel à certains anciens du lycée, j’ai eu quelques réponses positives. J’ai hâte. Je trépigne. Je veux des sourires, je veux de l’émotion. Vite, rassasiez-moi s’il vous plaît…

Pour cet après-midi au moins, les voix, entendues par visio depuis 18 mois, ne transitent pas de micro à haut-parleur. Des visages familiers viennent me saluer. Des adhérents venus spécialement de La Rochelle, des amis de Bordeaux et de Marennes Oléron, ma maîtresse de d’école maternelle venue de La Roche sur Yon… Et que dire de celui qui parle le grec ancien (à jeun), originaire du coin, arrivé la veille de Montpellier…

Des compagnons d’infortune sont également présents. Annick, bien évidemment. L’émotion est trop forte pour pouvoir la contenir, elle fond en larmes. Ma mère la réconforte le plus et le mieux possible. Qu’il est frustrant et compliqué psychologiquement, pour nous malades, de ne pas pouvoir se faire comprendre de tous et plus particulièrement de nos proches. François est là lui aussi, toujours avec le sourire. Il est heureux et ça se voit. Il est sur ses terres. Il s’arrêtera même chez sa sœur pour siroter une bière. Nous ne nous sommes pas vus depuis juillet 2019. Audrey, précédemment citée, ne peut pas être physiquement des nôtres cet après-midi. Je pense fort à elle au moment de prendre le départ de la marche.

Mes accompagnateurs et moi-même avons pour mission d’être serre-file sur la boucle de 11 km. Autrement dit, nous sommes la voiture balai, sans véhicule ni ustensile. Mes Pottoks habituels n’ont pas pris part à la marche. Une nouvelle brigade est mise en place pour tracter et pousser le buggy sur lequel je suis installé. Il y a Karine (auxiliaire de vie et adhérente de l’association), Nathan et Noé (fils de membres du bureau de Bougez), David et Anthony (copains d’IUT), ainsi que Charles (que vous connaissez déjà). La gouaille de ce dernier nous promet un bel et bon après-midi.

Et il va de suite commencer par une tournée des maisons de parents de copines ou copains de lycée. Rapidement je m’aperçois que mes 3 potes ne se reconnaissent pas. Enfin plus exactement, David et Anthony ne se souviennent pas de Charles, et réciproquement. Est-ce l’effet de la 40aine, les prémices d’un Alzheimer collectif, ou bien les séquelles de cette soirée plus que bien arrosée ? Je fais stopper le convoi pour communiquer par clignements d’œil avec Karine. Je lui fais épeler : « Demande leur s’ils se reconnaissent ? ». Sans donner plus d’informations, on reprend notre marche en avant. Ils sont hébétés. Les interrogations fusent de part et d’autre du buggy. Je jubile. Je distille des indices de temps en temps. « Réveillon », « tapis », « 2001 », « anniversaire » et enfin « 20 ans de Guillaume »… Ça y est, ils ont recollé les morceaux. Tout le monde éclate de rire, en remettant les détails dans l’ordre. Il s’agit bien des conséquences de la soirée du réveillon qui sont à l’origine des pertes de mémoire, puisque nous avions alors ouvert plus de bouteilles de mousseux que nous n’étions de convives… Quand on vous dit que la SLA n’altère aucunement les fonctions cognitives…

Karine et Charles échangent sur les randonnées pédestres de l’arrière-pays montpelliérain. Il fait grand soleil. Que du bonheur ! Ça rigole de tout et rien. Le ravitaillement est le bienvenu. Les téléphones sont sortis pour immortaliser le moment. On repart en longeant la rivière. C’est tellement agréable.

À une intersection, nous croisons Mme Lampert, la proviseur adjoint du lycée quand nous y étions. Nous avons une anecdote avec elle. Charles et moi y pensons en même temps, et qu’il s’empresse de raconter à l’équipe. Je vais vous en livrer les détails. Une sombre histoire de cacahuètes mal passées…

Nous étions alors en 1999, en terminale S au lycée Desfontaines de Melle. En « bons » scientifiques qui se respectent, nous avions tenté une expérience au BAC blanc. Loin de nous l’objectif de décrocher la médaille Fields ou autres Nobel, mais juste l’envie de rigoler. Les élèves volontaires des deux classes de pseudo scientifique, devaient écrire le même mot dans leur copie, qui changeait à chaque matière. Ainsi nous avions placé « lapin » en mathématiques, « ragondin » en histoire géographie (encore fallait-il correctement l’orthographier), « éléphant » en philosophie, … Le mot « peanuts » n’a pas du tout été apprécié par notre professeur de la langue de Shakespeare. Ainsi les 13 fautifs ont été invités à quitter le cours pour rejoindre le bureau du CPE. C’était sans compter sur un geste de bravoure extrême, l’auto délation d’un 14ème délinquant. Nous étions donc plus de la moitié de la classe à échapper à la correction de l’épreuve, et reçu par Mme Lampert. Elle avait bien saisi le côté bon enfant de notre plaisanterie. Elle nous a simplement demandé de rédiger une lettre d’excuses. Nous avons unanimement choisi celui qui allait tenir la plume ; Paul, le fils de la proviseur adjoint… Voilà ce qui fait partie de nos meilleurs moments de terminale…  

Revenons à la marche. Nous avons roulé le long du camping « so british », jusqu’à faire une pause photo sous un saule majestueux. Selon les informations GPS, il nous reste 1 à 2 km à parcourir. Ma mère reçoit un appel de Marc, pour savoir si tout se passe bien. On prend le temps, on savoure le moment. On approche de l’arrivée. L’assemblée se fend en 2 pour nous laisser passer. Pascal, adhérent de Bougez et bénévolement animateur de cette journée, annonce au micro que nous étions 277 à prendre le départ de cette marche. Tout le monde s’applaudit. Peut-être aurions-nous dépasser la barre des 300, si la pluie matinale n’avait pas douché la motivation de potentiels indécis.

J’entends la voix de Charles se rapprocher dans mon dos. Il est accompagné de 2 jeunes mamans, ces 2 mêmes qui avaient répondu positivement à mon appel auprès des anciens du lycée. 22 ans sans se voir. Elles n’ont pas changé, contrairement à moi. Mes cheveux longs ont laissé place à une proéminente calvitie. Mon visage est marqué par la maladie. Mais à cet instant, j’oublie mes complexes physiques, je suis tellement heureux de revoir Anne et Audrey. La covid et mes muscles en mousse ne me permettent pas de les remercier comme j’aimerais. Les regards et les sourires remplacent les mots et se suffisent à eux-mêmes.

Isabelle vient me voir pour me faire un petit débrief à chaud. La satisfaction est totale et unanime, pour les participants comme pour les organisateurs. Les marcheurs sont enchantés de la qualité du parcours. Nous avons parlé de la SLA à un nouveau public, sur un nouveau territoire. Des personnes sont venues se renseigner sur notre stand, sur la pathologie comme sur le fonctionnement de notre association. Isabelle a exécuté, toujours bénévolement, sa mission d’écoute et d’accompagnement auprès d’Annick. Quelques jours après la marche, une nouvelle personne fera appel à la permanence de Bougez contre la SLA. Et enfin, pour valider le 3ème point de notre projet associatif, nous saluons la générosité des participants, des donateurs et des partenaires, et nous les remercions d’avoir contribué au financement de la recherche sur la SLA ; seul espoir pour des milliers de malades de dénoncer leur mariage forcé avec cette « veuve noire ».

Merci à Annick d’avoir osé.

Merci à Colette, Margot et Marc d’avoir initié cette marche.

Merci aux bénévoles et sympathisants du Foyer Culturel Chef Boutonnais de leur implication.

Merci aux adhérents bénévoles de Bougez contre la SLA d’être venus en nombre.

Merci à mon équipe qui s’est mobilisée autour de moi de 11h à 22h.

Merci à toutes et à tous pour ces retrouvailles.

Florian