lundi, 27 avril 2020 14:18

Bougez - Restez confinés by Lucie

Voici donc mon quotidien depuis le début du confinement en tant qu'aide-soignante de nuit en réanimation. 

Je pars travailler vers 18h30 pour prendre mon service à 19h15. Je n'ai pas de voiture et j‘habite à 20 min de la clinique.

Comme les transports en commun sont perturbés, c'est un collègue infirmier qui passe me chercher, heureusement... Je ne suis pas une grande sportive comme nos chers coureurs de l'association, et prendre un vélo pour aller faire mes 12h de garde ne m'enchante pas plus que ça.

Les effectifs ont augmenté avec la fermeture des autres cliniques. Renforts bienvenus en réanimation. Avant l'arrivée de "la vague" nous avons vidé le service, transféré tous nos malades non covid en post réanimation qui s'est transformé en "réa 2", et le post opératoire juste à côté en "réa 3" au cas où... On ne sait pas à quelle sauce on va être mangé. On a déjà des pénuries de matériels (masques, systèmes clos pour pouvoir aspirer les patients sans prendre de projections au nombre de 23 avant le début des hostilités, sur-blouses etc.) qui venaient de Chine. Ça ne commençait déjà pas bien pour nous. Et puis la vague est arrivée...

Nous avons multiplié les arrivées de malades dont l’état de santé se dégradait en provenance du service covid. Ils arrivent "pas trop mal" si je peux dire... En détresse respiratoire mais encore capables de se transférer seul du brancard au lit de réa, de discuter avec nous, de nous évoquer leurs angoisses... Pour eux ils parlent à une paire de lunettes de protection, un masque, et une tenue de cosmonaute tellement nous sommes méconnaissables. Ensuite c'est l'escalade, ou la chute plutôt... la dégradation respiratoire se fait à une vitesse inouïe. Nous sommes tous choqués, réanimateurs compris. La vitesse à laquelle nous devons endormir ces gens et les intuber est affolante. Nous recevons également plusieurs rapatriements de Mulhouse et Paris. Certains se réveilleront, d'autres non... Sans avoir pu dire "au revoir" à leurs proches... Visites interdites, incinérations obligatoires sans aucunes familles présentes, c'est la réalité du coronavirus.

Et moi je suis là... Du haut de mes 28 ans, je m’habille comme je peux avant d'entrer en contact avec mes patients quand le matériel commence à manquer cruellement. J'accompagne tant bien que mal ces personnes en détresse. Je sors des box le visage marqué par mes lunettes, le dessus de mes oreilles coupés par l'élastique du masque. 

Bon, ce n'est pas Paris non plus ! Nous la vague dans ma réa elle a duré 1 semaine. Actuellement on a surtout les patients rapatriés, 12 lits sont occupés sur 15. Mais je me demande, quand tout cela sera derrière nous ? Et avec quels dégâts physiques et psychologiques, nous, soignants, allons-nous en sortir... Aujourd'hui idolâtrés, et demain ?

Je rentre chez moi, je suis claquée de ma nuit, j'ai mal partout, un petit moral à booster pour pouvoir continuer d'aller bosser. Le reste du temps je suis enfermée chez moi, sans jardin, n'y balcon. J'ouvre les fenêtres et je profite du soleil vers 16h, quand je me lève. Pas de soirée avec les copains, alors on fait des "apéros visio" parce que je ne suis jamais la dernière quand il s'agit de boire un coup ! Je regarde la télé pour me changer les idées entre 2 nuits, j'appelle ma famille. Mon appart est d’une propreté remarquable ! Et toutes les 2 semaines je me paye le luxe de sortir pour aller faire mes courses ! Je n'y vais pas trop souvent ; assister au bal des nouveaux joggeurs, des familles à vélo, des voisins qui se serrent la main ça me fait trop mal au cœur quand je vois ce que je vois en réanimation. Je préfère penser à ceux qui respectent tout ça en restant chez eux.

Je terminerai sur une note positive, en disant que beaucoup de personnes s'en sortent et heureusement ! Que nous dans l'équipe on se soutient beaucoup. Ça continue de rigoler énormément, et tant mieux, ça dédramatise. Je crois en chacun d'entre vous et en votre amour envers vous-même et les autres, prenez soin de vous et de vos proches.

Je vous transmets toute ma bienveillance, restez chez vous, pensez à moi à 20h, ça me fait chaud au cœur malgré tout ! A bientôt 

Lucie